



Lettre pastorale pour le temps de l’Avent
Voici la lettre pastorale que Mgr Guy Harpigny nous adresse pour cette période de l'Avent 2020.
Chers amis,
Je m'adresse à vous avec confiance pour partager ce que je fais comme expérience.
Temps d'épreuve
Nous attendons notre Sauveur, le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux (Antienne de la communion des 1er, 2ème et 3ème vendredis de l'Avent)
Pour beaucoup d'entre nous, les temps sont durs. Tous, nous avons, dans nos familles, parmi nos proches, des personnes qui sont décédées vaincues par le covid-19. Les funérailles, en moins de trente minutes, n'ont pas permis de vivre l'au-revoir comme nous l'aurions voulu. Des mariages ont été reportés. Des baptêmes, programmés de longue date, seront célébrés plus tard. Des enfants et des jeunes n'ont pas pu célébrer la première communion, la profession de foi, la confirmation, l'eucharistie-source. Ces moments si importants de retrouvailles en famille sont, eux aussi, déplacés. Les adultes qui se préparaient à célébrer les sacrements de l'initiation chrétienne n'ont pas tous eu la possibilité de vivre ce moment important de leur vie.
Les responsables des commerces dits non essentiels ont beaucoup souffert. Certains ne s'en remettront pas. Beaucoup d'autres professions sont à l'arrêt.
Les enfants font l'expérience d'une scolarité chahutée ; les étudiants du secondaire ont un horaire bousculé ; les étudiants du supérieur vivent leur formation par visioconférence, dans la solitude. Quand nous réfléchissons un peu, nous devons bien reconnaître que les jeunes passent par une épreuve très lourde à porter. Qu'est-ce qu'une vie sans pouvoir se joindre à un groupe, une bande pour parler, rire, chanter et inventer des projets dans lesquels tous se sentent utiles, responsables ?
Beaucoup se demandent comment joindre les deux bouts ? A chaque mois, nous constatons que les fonds baissent. Comment allons-nous payer les études de nos enfants et tout ce dont ils ont besoin pour vivre ?
Ces questions, ces épreuves, nous pourrions les supporter si nous avions des repères pour l'avenir, un horizon assez rapidement accessible.
Or, jusqu'à présent, beaucoup d'événements qui nous tiennent à cœur sont ramenés à la plus simple expression : les rencontres de famille à Noël, au Nouvel An. Je ne parle pas des fêtes patronales du début décembre ni de la fête de Saint-Nicolas, rien ne s'est fait comme d'habitude. Les vacances de neige sont déconseillées.
Pas mal d'entre nous ont des enfants, des amis qui vivent en dehors de la Belgique. On les revoit une fois par an à Noël ou aux grandes vacances. Cette année, ce ne sera pas possible à Noël ou au Nouvel An.
Dans cette situation, beaucoup souffrent mentalement. La solitude n'est pas un état de vie facile. Beaucoup de choses qui sont lourdes à porter remontent à la surface. On ne sait pas avec qui en parler. Les familles confinées n'ont pas de lieux pour respirer, pour échapper aux conflits qui éclatent. Certaines personnes passent de la dépression à l'agressivité, à la violence.
Regarder le réel autrement
Voici le Seigneur Dieu qui vient avec puissance ; il vient illuminer notre regard (Antienne de la communion des 1er, 2ème et 3ème mercredis de l'Avent)
L'épreuve que nous traversons n'est pas éternelle. Elle a une fin. Ce n'est pas une impasse. Pour sortir de l'épreuve, je pense qu'il faut oser regarder le réel autrement.
Tout d'abord, il ne faut pas chercher un coupable, un groupe qui serait la cause de tout ce qui nous tombe dessus. La cause de ce qui nous arrive est un virus. Il est dangereux, il peut tuer. Nous en sommes victimes. La maladie, l'infection, cela se soigne. Ceux qui soignent sont des chercheurs, des personnes aptes à exercer dans les soins de santé, capables de manifester beaucoup d'empathie envers les personnes qui souffrent. Quand on s'en rend compte, on peut se dire qu'il y a bien pire que nous pour traverser cette épreuve. Chapeau aux personnes, aux institutions qui veillent à la santé de tous.
Ensuite, il ne faut pas fermer les yeux sur les personnes, les familles qui glissent de manière inexorable dans la pauvreté. Dans toute société, il y a des personnes, adultes, personnes âgées, enfants qui subissent des conditions telles qu'elles ne voient pas comment en sortir. En cas de pandémie, d'autres conditions s'ajoutent aux premières. Je suis certain que, parmi les personnes qui prennent connaissance de cette lettre, plusieurs se disent qu'elles vivent mal les conditions qui entraînent la misère, l'exclusion, la faim et l'incapacité d'avoir droit aux soins de santé. Chapeau aux personnes, aux institutions qui, inlassablement, nous rappellent en quoi consiste la solidarité entre les êtres humains, ce que signifie le respect de la dignité humaine.
Nous avons appris beaucoup de choses sur le premier confinement. Je pense aux personnes qui vivent dans des maisons de repos, les personnes qui y résident, les personnes qui y exercent des responsabilités, les personnes qui sont au service des personnes âgées, souffrant d'un handicap ou désorientées. Des témoignages poignants ont fait l'objet d'enquêtes, d'études ; des institutions comme Amnesty nous ont alertés. Nous connaissons le nombre élevé de décès. Est-ce le signe d'une nouvelle étape de la vie en société ? N'est-ce pas un appel à revoir nos critères sur le respect de la dignité humaine ? Chapeau à tous ceux qui veillent sur nos aînés, même s'ils ne maîtrisent pas tous les leviers pour accompagner ces personnes fragilisées de manière encore plus efficace.
Ensuite, il ne faut pas envisager les responsables politiques, les membres du corps scientifique qui les informent, les spécialistes de la communication comme des moralistes qui font la leçon à des enfants ou à des gens qui, de toute façon, ne sont pas capables de comprendre les enjeux. La manière dont nous recevons les informations dépend de nous. Nous ne pouvons pas entrer dans une société où le mot d'ordre est Surveiller et punir, comme le disait Michel Foucault en 1975. Cherchons à comprendre en quoi consiste la responsabilité de chaque institution, de chaque corps de l'Etat.
Certes, il arrive que dès qu'une mesure est prise par les responsables politiques, on demande immédiatement une réaction à ceux qui se sentent lésés par cette mesure. Si on fait cela quatre fois durant un journal télévisé de 40 minutes, nous penserons, nous aussi, que nous sommes lésés. Restons objectifs. Essayons de comprendre rationnellement pourquoi les responsables politiques prennent telles mesures. Soyons positifs ! Prenons en compte l'objectif de ceux et celles qui discernent ce qui est bon pour tous, et qui donnent des directives pour atteindre ce qui est bon pour tous.
Les cultes
Il vient, celui que tous les peuples attendent ; la maison du Seigneur va se remplir de gloire (Antienne de la communion du 17 décembre)
Tout le monde le sait : chaque fois qu'il y a une conférence de presse pour annoncer les mesures, le mot culte n'apparaît pas, ou alors de manière exceptionnelle. Je rappelle qu'avant le premier confinement, le 12 mars 2020, les évêques avaient annoncé que les liturgies dans les lieux de culte étaient supprimées jusqu'au dimanche des Rameaux. Madame Wilmès intervenait le lendemain pour imposer le confinement complet. Les évêques ont pris leurs responsabilités dès qu'ils ont connu la gravité de la pandémie.
Au début mai, le ministre de la justice chargé des cultes a convoqué les chefs de culte pour établir un protocole qui serait d'application lorsque le culte serait de nouveau autorisé. Finalement, avec les restrictions proposées par les spécialistes de la santé publique, les liturgies ont repris au début juin.
Depuis lors, les différentes conférences de presse ignorent les cultes. Tout a été de nouveau interdit à partir du 2 novembre.
On peut donner à ce silence plusieurs explications.
Puisque le virus circule dès qu'il y a un rassemblement de plusieurs personnes en un endroit, il faut interdire tous les rassemblements, surtout quand ils ont lieu dans des endroits fermés, qui ont un toit. Par conséquent, pas de rassemblement dans les églises.
Sont autorisées les « choses essentielles » comme le transport en train, en tram, en métro, en bus, par avion. Le culte est « non essentiel ». Il fait partie des événements culturels ou festifs qui peuvent être reportés. Certes, les funérailles sont autorisées, à condition, disent les Gouverneurs de province de la Région Wallonne, qu'elles ne dépassent pas 30 minutes. Les mariages sont autorisés s'il y a moins de six personnes.
Ces explications sont-elles correctes ? Cela nous pose question. Plusieurs s'interrogent cependant sur le fait qu'on ne mentionne même pas les cultes dans les communications officielles.
Est-ce parce que les convictions religieuses n'attirent pas grand monde ? Ici, on rappelle les statistiques de la pratique dominicale de l'Eglise catholique. En 2019, 551.134 personnes ont participé à l'eucharistie de minuit ou du jour de Noël, d'après L'Eglise catholique en Belgique 2020, p. 100.
Est-ce parce que les convictions religieuses ne doivent plus faire partie de l'espace public ? Ici, les juristes et autres rappellent l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et l'article 19 de la Constitution belge sur la liberté religieuse.
Est-ce parce que les personnes engagées dans le politique ignorent tout à fait ce que signifie culte, conviction religieuse, recherche de sens en présence du transcendant ?
Est-ce parce que ces mêmes personnes font un lien immédiat entre religion et violence, terrorisme et que, par conséquent, ces personnes estiment qu'il faut éradiquer les convictions religieuses ?
Est-ce, comme l'a écrit Inna Shevchenko, du mouvement Femen, dans le journal satirique Charlie-Hebdo du 4 avril 2020, qu'il faut enlever aux prêtres la possibilité de mettre des personnes en danger ? Le coronavirus perturbe la tendance historique des religions à gagner du poids en période de crise et de tragédie. Avec la pandémie de covid-19, pour une fois, les religions ne pourront pas capitaliser sur les peurs et le besoin de soutien moral en offrant un sentiment de communauté. La base même de la pratique religieuse, le rassemblement public, est aujourd'hui susceptible de provoquer la mort (...). Pendant que les scientifiques et les politiques sont à pied d'œuvre pour lutter contre la pandémie de covid-19, les leaders religieux, eux, continuent à faire ce qu'ils font le mieux : mettre des personnes en danger.
Est-ce, enfin, le souhait de groupes philosophiques de manifester la laïcité de l'Etat, dont l'objectif est d'imposer la loi civile comme supérieure à la loi religieuse ?
Les chercheurs nous diront, dans quelques décennies, ce qui s'est passé en Belgique sur cette absence des cultes durant la pandémie du covid-19.
Durant le temps de l'Avent, devenir chrétien
Vivons dans le monde présent en hommes raisonnables, justes et religieux pour attendre le bonheur que nous espérons : la manifestation glorieuse de Jésus Christ, notre Dieu et notre Sauveur (Antienne de la communion des 1er, 2ème et 3ème jeudis de l'Avent)
Je m'adresse maintenant en priorité à ceux d'entre nous qui partagent la foi chrétienne et qui souffrent de ne plus pouvoir célébrer la liturgie le dimanche et les jours de fête : dimanches de l'Avent, Noël, Marie Mère de Dieu, Epiphanie, Baptême du Seigneur.
Nous pouvons chercher qui est responsable de cette situation. Nous pouvons regretter que les évêques et des hommes de droit ne veuillent taper sur la table, rédiger des requêtes, secouer le monde politique, organiser des manifestations pour exiger de nouvelles mesures qui autorisent la liturgie dans les lieux de culte. Même si nous espérons que les chiffres soient tels que cela devienne possible dans le respect des protocoles.
Est-ce la bonne attitude ? Qu'est-ce que le Seigneur attend de nous en cette période qui, je le rappelle, est transitoire ?
La réponse, pour moi, tombe sous le sens : le Seigneur nous appelle à devenir chrétiens. Non pas en revendiquant ce à quoi nous pensons avoir droit, mais en devenant chrétiens, disciples du Christ. Devenir chrétien par la foi, comme réponse à la Parole de Dieu. Devenir chrétien par la célébration, que nous pouvons « suivre » dans les médias et dans bien des lieux où les techniques de communication sont en place. Devenir chrétien par le partage avec les pauvres et le don de nous-mêmes là où c'est possible.
Il s'agit de vivre personnellement notre rencontre avec le Seigneur. Il s'agit de la vivre aussi en famille, à la maison. Plusieurs personnalités catholiques reprennent pour le moment la formule « église domestique », église à la maison. Ils disent cela non pas pour éliminer et considérer comme caduques les célébrations dans les églises. Ils proposent de devenir « inventif », créatif pour devenir chrétien.
Qui nous interdit d'aller prier dans une église ? Qui nous empêche de prier devant le Saint-Sacrement dans une église ? Pourquoi ne pas mettre une crèche dans la maison ? Pas une crèche de 10 cm en-dessous du sapin de Noël de 2 mètres. Mais une crèche bien visible, devant laquelle chacun peut prier, les enfants chanter, les adultes raconter ce qui s'est passé à Bethléem, ce que viennent faire les mages auprès de la Vierge et de son Enfant.
Nous avons des voisins qui ont peut-être besoin d'un service. Avons-nous des contacts avec eux, par téléphone ou autrement ? Nous savons que telle personne se sent seule. Qu'attendons-nous pour prendre des nouvelles ? Tant de choses sont possibles quand nous regardons bien autour de nous.
Devenir chrétien, c'est avoir un horizon qui va bien au-delà des mois qui viennent
Dites aux esprits abattus : Prenez courage, ne craignez pas ; voici notre Dieu qui vient : il vient nous sauver (Antienne de la communion du 3ème dimanche de l'Avent)
La liturgie du temps de l'Avent parle de la venue du Christ en gloire à la fin des temps. Ne pensons pas que c'est seulement une utopie. C'est quelqu'un qui vient à notre rencontre. Avant de nous quitter il a dit deux choses :
Veillez ! Car vous ne savez pas quand ce sera le moment (Marc 13,33-37)
Je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à la fin des temps (Matthieu 28,20)
Pour bien vivre le temps de l'Avent, il y a plusieurs manières. Cependant, n'oublions pas la prière, dans la confiance et dans l'intercession pour tous ceux qui attendent une délivrance, une guérison.
Pour bien préparer la venue du Seigneur, nous avons le témoignage du prophète Jean Baptiste et l'attitude pleine de foi de la Vierge Marie qui va enfanter Jésus. Nous avons aussi tous les textes bibliques que nous trouvons aussi bien dans le Missel des dimanches que dans le Missel de semaine. Lire le texte, retenir une phrase qui nous frappe, la laisser retentir en nous, dire au Seigneur ce qui nous touche et « regarder », « contempler » : tout le monde est capable de faire cela.
Ecoutons avec ferveur la prière d'ouverture du troisième dimanche de l'Avent
Tu le vois, Seigneur,
Ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils ;
Dirige notre joie vers la joie d'un si grand mystère :
Pour que nous fêtions notre salut avec un cœur vraiment nouveau.
Depuis des années, le troisième dimanche de l'Avent, nous partageons nos biens avec les pauvres de chez nous. C'est l'« Action Vivre Ensemble ».
Comme il n'y a pas de collecte dans les lieux de culte le 13 décembre, n'hésitons pas à faire un don à :
Action Vivre ensemble
Rue du Gouvernement Provisoire, 32
1000 – Bruxelles
BE91 7327 7777 7676
Je suis toujours frappé par la réponse de Jean le Baptiste à ceux qui lui demandaient qui il était.
Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ; c'est lui qui vient derrière moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale (Jean 1,26-27).
Cherchons le Seigneur. Il se tient au milieu de nous.
En communion avec chacun, chacune d'entre vous.
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai
3 décembre 2020
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Créé parDiocese de Tournai