



Vœux à la société civile
Tournai, 7 janvier 2020
En mai 2019, nous avons eu les élections législatives pour les différents parlements de la Belgique. Nous avons, depuis lors, les exécutifs pour les entités fédérées. Nous attendons l'exécutif pour l'Etat fédéral. Tous nos vœux vont à ceux à qui il revient, d'après la Constitution et les institutions de notre pays, d'arriver à la mise sur pied de cet exécutif.
La ville de Tournai a accueilli en décembre 2019 l'événement Viva for Life. Une fois de plus, la solidarité de nos concitoyens avec les enfants de familles précarisées s'est manifestée avec éclat. Ce sont des événements de ce genre qui nous montrent que, lorsque les choses graves sont dites et bien présentées, les personnes, les groupes et les associations en tous genres se mobilisent pour montrer que non seulement on y est attentif, mais qu'on se donne à fond pour venir en aide.
En avril 2019, l'incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris a provoqué beaucoup de réactions, auxquelles je ne m'attendais pas. Certes, en France, la cathédrale de Paris est un symbole qui ne laisse personne indifférent. Victor Hugo au XIXème siècle, la libération de Paris en 1944 avec le Général De Gaulle sans oublier le sacre de l'empereur Napoléon et bien d'autres événements ont enrichi avec le temps ce que représente la Cathédrale dans l'histoire de la France. Cet incendie a eu des répercussions sur la manière d'envisager la sécurité des grands monuments, y compris à Tournai. C'est l'occasion pour moi de redire ma gratitude à tous ceux qui veillent à la restauration de la Cathédrale de Tournai, propriété de la Province de Hainaut, lieu de culte de l'Eglise catholique. Merci à Mr Serge Hustache, à Mr Yves Harvengt et à tous les services impliqués dans les travaux.
Une fois de plus, et j'enfonce le clou, le lieu de culte qu'est la Cathédrale a, dans ses missions, l'accueil d'événements culturels, comme le manifestent les cathédrales de Bruxelles, de Liège et de Namur, sans oublier la Collégiale Sainte-Waudru à Mons. Tout le monde sait bien que la Cathédrale de Tournai ne deviendra pas le Cirque royal ou le Théâtre royal de Tournai, qui tolérera quelques heures de culte par semaine. Comme à la Cathédrale de Paris, avec Mgr Chauvet, il y a à Tournai un Recteur de la Cathédrale qui veille au culte. Je remercie le vicaire épiscopal Michel Vinckier, Recteur de la Cathédrale, et ses collaborateurs pour leur investissement dans les célébrations liturgiques. Je suis très heureux qu'un groupe composé de représentants des diverses institutions concernées fera désormais le discernement nécessaire pour les aspects culturels envisagés dans l'avenir. Ici encore la fabrique de l'église cathédrale veillera au respect de la législation.
N'oublions pas, qu'indépendamment des événements culturels souhaités par diverses institutions comme la Province, la Ville de Tournai et des associations en tous genres, la Cathédrale a un patrimoine exceptionnel. Les archives et la bibliothèque de la Cathédrale attirent des chercheurs qui viennent du monde entier. En 2019, le professeur Jacques Pycke, exécuteur testamentaire du chanoine Jean Dumoulin, a déposé les ouvrages de la bibliothèque du chanoine susceptibles d'intéresser les chercheurs. De même, toujours en 2019, le professeur Jacques Pycke et Mr Pierre Dehove, archiviste-adjoint de la Cathédrale, ont déposé cinquante caisses d'ouvrages aux archives. Autant d'ouvrages ont été déposés à la bibliothèque du Séminaire de Tournai et à la bibliothèque de l'évêché. En 2019 encore est sorti de presse le 47ème volume de la collection « Tournai - Art et Histoire » qui est le 30ème des « instruments de travail ». Merci aux Amis de la Cathédrale d'apporter leur aide pour accompagner tous ces travaux, sans oublier leur intervention dans la restauration de certaines pièces du patrimoine de la Cathédrale.
La Cathédrale a en son sein un Trésor inestimable qui contient des pièces que les trésors de Liège et de Reims nous envient. Le Trésor de Tournai est infiniment plus riche que celui des Cathédrales de France, d'Allemagne et du Royaume-Uni. Je remercie le chanoine Pierre-Louis Navez d'avoir donné du temps pour le faire connaître. Je pense qu'il est urgent qu'un groupe nouveau réfléchisse et prenne les contacts nécessaires pour le mettre en valeur. La question n'est pas de savoir qui est le propriétaire du Trésor. Il est indissociablement lié à la Cathédrale. Nous avons des documents et une législation pour le démontrer. La question n'est pas non plus de fermer toutes les portes afin de le protéger de prédateurs laïcs, athées ou mécréants. A quoi servirait un trésor que nul ne peut voir, mais que tout le monde envie ! Je suis persuadé que, tant que la restauration de la Cathédrale est en cours, le Trésor ne doit pas rester enfermé dans des armoires. Un groupe composé de personnes compétentes, qui ont la confiance de l'Evêque et de la Fabrique de l'église cathédrale et qui travaillent en bonne intelligence avec les institutions qui veillent à la restauration de la Cathédrale, apportera certainement des projets réalistes et efficaces. Merci à Mme Florence Renson d'avoir accepté la charge ad interim de conservatrice de la Cathédrale et de son Trésor.
Dans le Rapport annuel de L'Eglise catholique en Belgique 2019, nous avons, pour l'année 2018, le nombre de visiteurs des cathédrales : Gand a un million de visiteurs ; Bruxelles 800.000 ; Bruges 420.000 ; Anvers 336.515 ; Liège 158.000 ; Malines 83.000 ; Hasselt 28.475 ; Tournai 15.000 ; Namur 12.000. Il se peut que le nombre de 15.000 pour Tournai concerne uniquement les entrées au Trésor. N'empêche, la Cathédrale de Tournai n'a pas les moyens nécessaires, n'a peut-être pas non plus des objectifs suffisamment réfléchis pour accueillir les visiteurs. Le rapport annuel donne, sur ce point, l'exemple de la cathédrale d'Anvers. La fabrique d'église y a 27 employés et un budget d'exploitation de 2 millions par an. Certes, la Région flamande et la Région wallonne ne disposent pas des mêmes budgets pour les cathédrales. Je pense néanmoins qu'une réflexion sur l'avenir du Trésor de la cathédrale de Tournai serait la bienvenue.
A quelques mètres de la Cathédrale, à la rue des Jésuites, se trouve un bâtiment imposant dénommé : Séminaire de Tournai. Cet édifice a été donné par l'empereur Napoléon à Mgr Hirn, évêque de Tournai, en 1808, pour en faire un Séminaire. Durant la dernière guerre mondiale, ce bâtiment a subi des déprédations. Mon prédécesseur, Mgr Charles-Marie Himmer (1949-1977), a fait faire des collectes dans les églises, le dimanche et parfois aussi au temps du carême, pendant des années, pour la restauration du Séminaire. Le Séminaire fait l'objet d'une législation particulière quant à la propriété. Nous avons des documents qui en témoignent. Le vicaire épiscopal Daniel Procureur, Président du Séminaire (un titre protégé par la législation), veille à la mise en valeur de la mission du Séminaire : la formation des acteurs pastoraux, laïcs, animateurs en pastorale, diacres, prêtres, personnes engagées dans la vie consacrée. Le Séminaire abrite l'Institut Supérieur de Théologie du Diocèse de Tournai, ainsi que l'Académie Saint Grégoire. Il n'y a pas que la formation. Il y a une bibliothèque qui est enrichie chaque année depuis 1808. Elle contient des ouvrages anciens, depuis que l'imprimerie existe ; des ouvrages récents ; des périodiques scientifiques en sciences humaines, en philosophie, en droit canonique et en théologie. Le Séminaire contient aussi un espace muséal, régulièrement ouvert aux visiteurs. Dans un édifice qui a plus de deux siècles, nous avons encore des collections d'archives. Dans un centre de formation théologique, une communauté de vie consacrée, les Religieuses de l'Assomption, assure des temps de prière, qui sont ouverts à tous. Je pense qu'ici aussi une réflexion pourrait être menée pour déployer le rayonnement intellectuel et spirituel du Séminaire, dans la ville de Tournai, certes, mais surtout dans le diocèse de Tournai, la Province de Hainaut.
Elargissons notre regard au patrimoine religieux des chrétiens en Hainaut. Suite à quelques-unes de mes suggestions, un Centre d'Histoire et d'Art Sacré en Hainaut a vu le jour en juin 2013 à Bonne-Espérance. Je remercie vivement le vicaire épiscopal Jean-Pierre Lorette et ses collaborateurs d'avoir comme objectifs la sauvegarde du patrimoine religieux et la création d'un espace muséal. A mon avis, la sauvegarde du patrimoine religieux n'est pas suffisamment prise au sérieux. Les évêques francophones ont mis en place, en 2016, une commission interdiocésaine du patrimoine religieux pour la Région wallonne, qui travaille en bonne intelligence avec les représentants des pouvoirs publics et les fabriques d'église. N'empêche, quand j'écoute ceux et celles qui envisagent la mission de l'Eglise catholique en Hainaut, je suis sidéré par leur manque d'informations et leur absence d'intérêt pour le sujet. Selon ce que j'entends parfois, tout cela ne nous regarde pas ; nous n'avons pas les moyens financiers ; tout cela doit être confié aux entités fédérées. Je suis abasourdi. Voilà maintenant que le patrimoine religieux n'a plus aucune valeur ecclésiale ni pour la liturgie, ni pour la catéchèse, ni pour l'inscription de la religion dans la société. Merci, en tout cas, aux membres de la commission interdiocésaine du patrimoine religieux d'avoir réalisé la publication Réaliser l'inventaire d'une église paroissiale.
Les médias, les études scientifiques, les interventions de ceux qui exercent de grandes responsabilités présentent, avec raison, les grands problèmes de la société, les rapports parfois difficiles entre les nations, la dégradation de l'environnement de la planète elle-même. Parmi ceux qui exercent des responsabilités au niveau mondial, nous avons le Pape François. Ses interventions sur le climat rejoignent celles des experts scientifiques. Il faut un changement des habitudes ; il faut se fixer des objectifs neufs ; il faut un développement intégral de l'être humain. Pas seulement envisager le climat, mais aussi beaucoup d'autres aspects de l'être humain depuis sa conception jusqu'à la mort naturelle. C'est à partir de cette anthropologie, de cette vision de l'être humain, que le Pape aborde des questions difficiles comme le vivre-ensemble dans une nation, un ensemble de peuples, et qu'il démontre la nécessité d'organisations internationales qui ont les moyens de faire avancer les projets.
Nous ne pouvons que souscrire à tout ce qui est mis en œuvre pour atteindre le bien commun. Pas seulement l'intérêt général, qui est trop lié au commerce ou à l'économie, mais le bien commun. Nous savons que cette expression ne plaît pas à tout le monde. Peut-on encore parler du bien pour tous ? Est-ce que la morale n'est pas devenue « mon bonheur à moi » sans nécessairement me soucier du « bonheur des autres », du « bonheur de tous » ? N'ayez crainte. Je ne vais pas donner ici un cours de morale qui commence avec Le souverain bien de l'Ethique à Nicomaque d'Aristote pour aborder en finale la Théorie de la justice de John Borden Rawls, professeur à Harvard, un des grands éthiciens nord-américains du XXème siècle.
Nous avons la chance d'avoir de grands penseurs comme Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, qui a publié à Genève De l'esprit des lois en 1748. Depuis lors, bien d'autres philosophes, juristes et théologiens sont intervenus pour penser le vivre-ensemble. Il me semble que, devant certaines impasses philosophiques et certaines obsessions identitaires, revisiter ce que l'on entend par bien commun serait bien nécessaire.
En raison de ma formation et de mes convictions personnelles, je suis attentif à ce qui se passe au Moyen Orient. Les événements de ces derniers jours, que les spécialistes des sciences politiques et diplomatiques ont pu prévoir, m'attristent beaucoup. Je ne peux m'empêcher de compatir aux souffrances des populations civiles qui vivent dans des conflits violents depuis la fin des années 1940. Cela fait cinq ans qu'en ce 7 janvier était perpétré l'attentat contre Charlie Hebdo. Ce qui se passe au Moyen Orient a des répercussions sur l'élargissement du territoire dont les jihadistes de l'Etat islamique font la théorie. Nous sommes tous concernés, et pas seulement les spécialistes. Nous pouvons remercier ceux qui veillent sur notre sécurité.
Dans la société, nous avons cependant des étoiles qui nous aident à voir les choses autrement. La semaine dernière, France 2 nous proposait la finale de Prodiges. Des enfants et des adolescents montraient leurs talents en musique instrumentale, en chant et en danse classique. Leurs prestations étaient éblouissantes. Que de travail, que de maîtrise de la technicité, que d'énergie pour convaincre et toucher le cœur, quelle maturité aussi ! Grâce aux médias, ces jeunes sont maintenant connus du grand public. Il y a dans notre société des talents, des prodiges que nous ne soupçonnons pas. Ces personnes, ces étoiles, sont pour nous des sources d'espérance.
Je souhaite à chacune et chacun d'entre vous, à vos familles, à vos proches tout le bonheur possible en 2020. Nous passerons par des épreuves, sans doute. Puissions-nous trouver à ce moment-là des personnes pour nous accompagner afin de les traverser.
Meilleurs vœux à tous !
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai
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Créé parDiocèse de Tournai