



La dignité humaine, au regard de la foi chrétienne
(Pour les animateurs en pastorale du diocèse de Tournai,
13 novembre 2017, au Séminaire de Tournai)
La relecture des œuvres de Clément d’Alexandrie, depuis mai 2017, m’a permis de voir, une nouvelle fois, combien la mentalité ambiante influençait la manière de comprendre la foi chrétienne et la manière de la présenter.
Un entretien avec Mgr Albert Houssiau, le 18 octobre 2017, à propos de ses recherches sur le fait d’être humain, dans l’antiquité grecque et dans l’antiquité chrétienne, a attiré mon attention sur la culture ambiante à propos de plusieurs thèmes qui, à première vue, attaquent le contenu de la foi chrétienne.
Cela m’a encouragé à relire les étapes de courants philosophiques anti-chrétiens contre certains aspects éthiques proposés par l’Eglise catholique. Cela m’a permis de voir comment des « progrès » sont assumés par la foi chrétienne et de voir comment la dignité humaine s’en trouve approfondie.
- I.La philosophie des Lumières
Il s’agit d’un courant philosophique qui traverse toute l’Europe
France : Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, d’Alembert, Helvétius, d’Holbach, Buffon, les Encyclopédistes, qui se basent sur Fontenelle et Bayle
Angleterre : Toland, Hume, qui se basent sur Newton et Locke
Allemagne : C. von Wolff, Kant
En accueillant la pensée des libertins érudits du XVIIème siècle, les philosophes des Lumières posent la nécessité d’un bonheur terrestre individuel.
Ceci entraîne une apologie de la nature qui se manifeste dans le mythe du bon sauvage et dans l’idée d’une religion naturelle et d’un droit naturel.
A l’exception de Rousseau, ces philosophes acceptent a priori l’idée de progrès que procure la civilisation. Derrière cet a priori, nous avons le triomphe de la raison et la certitude expérimentale qui gouverne le progrès scientifique : la raison et la science vont permettre l’épanouissement de l’être humain.
Une grande constante des Lumières est le cosmopolitisme. Considérant, à la suite de Montesquieu et de Voltaire, que la tolérance est une vertu primordiale, ces philosophes sont persuadés que seule la raison peut conduire l’humanité tout entière à la perfection et à la sagesse.
Au XVIIIème siècle, si la philosophie s’intéresse surtout à la rationalité, à la raison, elle ne prône pas l’athéisme. Elle considère seulement que la question de Dieu ne se pose pas « dans le monde » mais « hors du réel ». Dieu est comme un concept vide. Il n’a pas de « contact » avec l’être humain. A la rigueur, il serait une sorte d’architecte de l’univers.
- II.Au plan de la vie sociale, les droits de l’homme
La Révolution Française (1789) provoque une crise qui ne confie plus la rédaction des lois au Roi, mais bien à l’assemblée nationale (représentants du peuple).
- Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, votée par l’assemblée nationale constituante du 26 août 1789. Après l’abolition de la féodalité (4 août 1789), vient la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui servira de base à la Constitution de 1791
Quels sont ces droits ?
Les droits naturels et imprescriptibles de l’homme : liberté, propriété, égalité devant la loi
Les droits naturels et imprescriptibles de la nation : souveraineté nationale, séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire
- Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui sert de préface à la Constitution adoptée par la Convention en juin 1793
Faisant du bonheur commun le but de la société, cette déclaration considère que l’égalité est le droit naturel fondamental ; aux droits de 1791, elle ajoute : le droit au travail, le droit à l’assistance et à l’instruction, le droit de s’insurger contre les oppresseurs
- Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui précède la Constitution de l’an III, adoptée par la Convention thermidorienne d’août 1795
Cette Déclaration supprime l’article qui affirme que les hommes naissent libres et demeurent libres et égaux en droit (afin de justifier le suffrage censitaire) ; elle ajoute la déclaration des devoirs de l’homme, inspirée des préceptes de l’évangile de Matthieu : en résumé, ce sont les devoirs de respect des lois, des autorités, de la famille et de la propriété
- Déclaration universelle des droits de l’homme, votée le 10 décembre 1948 par l’assemblée générale des Nations Unies, à Paris (abstention de l’URSS et de 5 démocraties populaires, de l’Arabie Saoudite, de la République sud-africaine. Cette Déclaration n’a pas le caractère obligatoire de la Charte des Nations Unies.
- La Charte des Nations Unies est signée à San Francisco le 26 juin 1945 par les représentants des 51 nations en guerre contre l’Axe (Allemagne, Italie, Japon)
- III.Contenu des droits de l’homme
- Considérant que :
La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde
La méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme
Qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression
Qu’il est essentiel d’encourager le développement de relations amicales entre nations
Que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, et qu’ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande
Que les Etats Membres se sont engagés à assurer, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies, le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales
Qu’une conception commune de ces droits et libertés est de la plus haute importance pour remplir cet engagement
- L’Assemblée générale proclame la présente Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives tant parmi les populations des Etats Membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction.
- Articles
18 : Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.
- IV.Sécularisation
- Au XIXème siècle, des courants philosophiques prônent l’athéisme et fondent autrement la vie en société : le régime démocratique sans référence à une transcendance ; la législation votée par des assemblées représentatives ; la bioéthique vise la vie humaine, non pas à partir de la conception, mais à partir de la naissance, et elle vise la fin de vie sans référence à une vie au-delà de la mort ; le droit au bonheur est un droit individuel, qui n’a pas à être régulé par la société : d’où l’évacuation de toute forme de souffrance possible par une décision personnelle du moment de sa propre mort.
- En Belgique, les courants philosophiques issus des Lumières glissent progressivement dans les courants philosophiques qui prônent l’athéisme ou l’agnosticisme : ils deviennent une sorte de nouvelle religion appelée « laïcité organisée », dont le mouvement le plus en vue est le Centre d’Action Laïque. Le terme de laïcité date du début du XXème siècle.
- Suivant l’évolution des mentalités, le CAL appuie tous ceux qui soutiennent le droit au bonheur personnel, sans référence à une sorte de droit naturel, en supprimant toute la législation qui considérait certains actes comme des délits. On dépénalise et puis on en fait un droit fondé sur la liberté : divorce, avortement, euthanasie. Le mariage comme engagement d’un homme et d’une femme est aussi appliqué à l’engagement de deux personnes du même sexe. L’engendrement de nouveaux humains n’est plus nécessairement le fait d’un homme et d’une femme, d’où la procréation médicalement assistée pour des unions de deux personnes de même sexe. L’idée d’une humanité qui ne suit pas nécessairement le genre biologique fait son chemin. Il est désormais acquis que chacun peut choisir son genre, ou espérer être sans genre.
- V.Doctrine sociale de l’Eglise
- L’Eglise annonce le Christ à toutes les nations en vue de faire de celles-ci des disciples du Christ.
- Pour cette mission, l’Eglise assume ce qui, dans l’évolution des mentalités et des systèmes philosophiques, lui apparaît comme un progrès en humanité.
- L’origine de la doctrine sociale contemporaine remonte à Léon XIII qui voit dans les grandes questions sociales du XIXème siècle et l’évolution des systèmes philosophiques un appel à manifester l’annonce du Christ qui sauve tout être humain. L’Eglise catholique appelle à pratiquer l’amour du prochain dans tous les domaines de la vie sociale, vis-à-vis des pauvres en particulier. Rerum novarum (1891) aborde de plein front la question ouvrière du XIXème siècle.
- Pie XI fait le point quarante ans plus tard (Quadragesimo anno, 1931) en tenant compte de la situation économique nouvelle avec l’expansion du pouvoir des groupes financiers qui accompagnait l’industrialisation au plan national et au plan international.
- De plus Pie XI démonte l’idéologie des régimes totalitaires de l’époque : le fascisme, le communisme
- Pie XII intervient régulièrement à propos du nouvel ordre social, gouverné par la morale et par le droit, et centré sur la justice et la paix. C’est Pie XII qui montre avec clarté le rapport entre la morale et le droit.
- Jean XXIII fait le point sur les années d’après la deuxième guerre mondiale : reprise économique, décolonisation, dégel entre l’Union Soviétique et le monde libre. Jean XXIII parle de signes des temps et discerne les nouveaux grands problèmes : l’évolution de l’agriculture, le développement du tiers-monde, l’explosion démographique, la nécessité d’une coopération économique mondiale. Dans Mater et Magistra (1961), Jean XXIII parle de communauté et de socialisation, et il insiste sur le fait que tous les progrès doivent viser à promouvoir la dignité de l’homme. Dans Pacem in terris (1963), Jean XXIII parle de bien commun universel en matière économique, sociale, politique et culturelle.
- Vatican II propose, dans Gaudium et spes, une réponse aux attentes du monde contemporain : l’Eglise se dit intimement solidaire du genre humain et de son histoire. Gaudium et spes (1965) aborde la culture, la vie économique et sociale, le mariage et la famille, la communauté politique, la paix et la communauté des peuples
- Dans Dignitatis humanae (1965), Vatican II donne les fondements de la liberté religieuse
- Paul VI reprend un aspect de cette doctrine dans Populorum progressio (1967) : le développement intégral de l’homme et le développement solidaire de l’humanité
- Dans un bilan de 80 ans après Rerum novarum (1971), Paul VI réfléchit à la société postindustrielle avec ses questions nouvelles : l’urbanisation, la condition des jeunes, la situation de la femme, le chômage, les discriminations, l’émigration, l’accroissement démographique, l’influence des moyens de communication sociale, le milieu naturel.
- Jean-Paul II aborde le travail (1981), 90 ans après Rerum novarum ; le développement (1988) ; il fait le point sur la doctrine sociale en en donnant les fondements dans le contenu de la foi (Centesimus annus, 1991) : l’Eglise suit l’axe de la réciprocité entre Dieu et l’homme : reconnaître Dieu en chaque homme et chaque homme en Dieu est la condition d’un développement humain authentique. La chute du mur de Berlin en 1989 entraîne une appréciation de la démocratie et de l’économie libérale, dans le cadre d’une solidarité indispensable au plan mondial.
- Avec Benoît XVI, nous avons une insistance sur les fondements de la doctrine sociale : Deus caritas est (2005), une reprise théologique et pastorale de Populorum progressio ; la doctrine sociale est reprise dans ses fondements également au plan de la théologie fondamentale qui prépare à la dogmatique, dans Caritas in veritate (2009).
- François fonde la dimension sociale de l’évangélisation dans Evangelii gaudium (2013) et fait un exposé sur l’écologie, qui tient compte des questions graves de l’humanité et de la réflexion théologique sur la création, dans Laudato Si’ (2015).
- VI.Fondements de la doctrine sociale
- A.En théologie morale
- Le dessein d’amour de Dieu pour l’humanité : la première alliance entre Dieu et l’humanité ; la nouvelle alliance en Christ ; la personne humaine dans le dessein d’amour de Dieu ; le dessein de Dieu et la mission de l’Eglise
- La personne humaine et ses droits
- Principes de la doctrine sociale : le bien commun ; la destination universelle des biens ; le principe de subsidiarité ; la participation ; le principe de solidarité ; les valeurs fondamentales de la vie sociale
- La voie de la charité
- B.En théologie dogmatique
- L’être humain créé à l’image de Dieu (ouvert à une écoute de Dieu, à l’amour de Dieu)
- L’être humain blessé par le mal (péché originel) et capable de faire le mal
- L’être humain sauvé (première alliance)
- L’être humain sauvé par le Christ (délivré du mal ; pardonné ; don de la grâce)
+ Incarnation
+ Pâque
+ Intercession/Grand Prêtre
- L’être humain habité par l’Esprit Saint (libéré du mal ; force pour répondre à l’appel de Dieu et pour partir en mission, témoignage)
- L’être humain appelé à la gloire, dans le Royaume (la mort comme passage ; entrée dans la vie éternelle ; promis à la résurrection de la chair)
- Homme/femme
- Peuple de Dieu
- Genre humain
- Gestion de l’univers
- Engendrer
- Participer au salut
- Témoigner d’un don reçu
- Comme membre du genre humain
- Comme membre de l’Eglise
- VII.La dignité humaine
- Assumer les progrès en humanité, tels qu’ils sont vécus par le genre humain
- Suivre les lois qui protègent cette dignité
- Être ouvert à la Parole de Dieu
- Le commandement de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain
- La découverte du dessein de Dieu pour tout être humain, pour tout le genre humain
- En témoigner personnellement
- En témoigner en Eglise
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai
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