



Homélie
Ordination diaconale
Pascal Cambier, Yannick Letellier, Simon Naveau
Eglise du Séminaire de Tournai
29 octobre 2017
Vers 51 après Jésus-Christ, l’apôtre Paul, qui réside à Corinthe, reçoit des nouvelles de la communauté chrétienne de Thessalonique. Capitale de la province romaine de Macédoine, Thessalonique est une ville florissante où vivent de nombreux étrangers et, parmi eux, une importante colonie juive.
Lorsque Paul y était arrivé, vers 50, il venait de la ville de Philippes, accompagné de Silas et de Timothée. Il y a annoncé l’Evangile aux Juifs, aux prosélytes et aux païens. Peu de temps après, des Juifs ont accusé les prédicateurs d’agir contre les décrets impériaux et ils ont traîné des chrétiens devant les magistrats. Paul et ses compagnons ont été obligés de s’enfuir, de nuit, pour Bérée, où des Juifs se sont, de nouveau, opposés à la prédication de Paul et de ses compagnons.
Un an plus tard, Paul est inquiet. Il a laissé une petite communauté chrétienne, aux prises avec des persécuteurs, une communauté qui était à peine formée. Heureusement, grâce aux nouvelles apportées par Timothée, Paul apprend que les chrétiens de Thessalonique ont résisté aux persécutions. D’où une immense action de grâce dont la première lettre aux Thessaloniciens donne le contenu : Nous rendons continuellement grâce à Dieu pour vous tous quand nous faisons mention de vous dans nos prières ; sans cesse, nous gardons le souvenir de votre foi active, de votre amour qui se met en peine, et de votre persévérante espérance, qui nous viennent de notre Seigneur Jésus Christ, devant Dieu notre Père, sachant bien, frères aimés de Dieu, qu’il vous a choisis. En effet, notre annonce de l’Evangile n’a pas été seulement discours, mais puissance, action de l’Esprit Saint, et merveilleux accomplissement. Vous savez comment nous nous sommes comportés chez vous pour votre bien. Et vous-mêmes, en fait, vous nous avez imités, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves, avec la joie de l’Esprit Saint. Ainsi vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants de Macédoine et de Grèce.
Pascal, Yannick et Simon,
L’Eglise de Dieu qui est en Hainaut rend grâce au Seigneur pour votre manière d’accueillir la Parole de Dieu et pour votre réponse à l’appel à devenir prêtres.
Entre le moment où vous avez perçu un appel et l’étape importante que vous franchissez aujourd’hui, il y a eu des épreuves de toutes sortes et des moments de grâce, avec la joie de l’Esprit Saint. Le discernement de la vocation, la progression dans la maturité humaine, la formation philosophique et théologique ont été monnayées par une approche toute simple de quelques réalités pastorales. Vous verrez, en avançant, que la mission pastorale de l’Eglise se réalise par des chemins bien souvent insoupçonnés. Ce que l’on apprend durant la formation initiale est une chose ; cela devient lettre morte si on ne participe pas de manière active à une formation continuée. Combien de prêtres n’ont-ils pas été désarçonnés après dix ou vingt années d’exercice du ministère, tout simplement parce qu’ils n’ont pas vu les changements profonds des mentalités de leurs contemporains, tout simplement parce qu’ils ont considéré de très loin les interpellations lancées par l’Eglise universelle et par l’Eglise diocésaine.
D’un certain point de vue, l’annonce de l’Evangile est un commencement perpétuel. Il suffit d’écouter les enfants, les jeunes et les jeunes adultes quand ils posent des questions sur le sens de la vie, sur le phénomène religieux, sur les musulmans et sur les chrétiens. On se retrouve à Thessalonique avant la venue de Paul et de ses compagnons. Un monde païen qui passe d’une idole à l’autre. C’est dans ce monde-là que le Seigneur nous appelle et que le Seigneur nous envoie pour faire de nos contemporains des disciples. Pas seulement des disciples qui accueillent une Bonne Nouvelle, mais, comme le dit le Pape François, des disciples missionnaires qui partagent la Bonne Nouvelle du Christ avec tous.
Cela suppose de notre part un regard positif sur le monde que Dieu crée, que Dieu sauve, que Dieu appelle à partager sa gloire. Si nous avons un regard négatif sur les personnes, sur les groupes vers lesquels nous sommes envoyés, nous n’entrons pas dans ce qui est le cœur de la foi chrétienne : l’amour de Dieu, l’amour du prochain. Le contenu tout entier de la foi chrétienne est formulé dans ces deux commandements qui, à chaque moment, à chaque étape de notre vie, sont intimement liés.
Le synode diocésain de 2011-2013 nous a rappelé l’enseignement de Vatican II sur le mystère de l’Eglise. Celle-ci est, en quelque sorte, dans le Christ, sacrement, à la fois signe et moyen de l’union personnelle avec Dieu, signe et moyen de l’unité du genre humain.
Comme ministres ordonnés de l’Eglise, nous sommes, nous aussi, dans le Christ, signe et moyen de l’union personnelle avec Dieu, signe et moyen de l’unité du genre humain.
Sur ces deux aspects, notre responsabilité est immense et nous nous rendons compte que, seuls, nous ne parviendrons jamais à correspondre à ce mystère. Aussi est-il nécessaire de poursuivre un chemin personnel qui a été initié en nous lorsque, pour la première fois, nous avons pris conscience que Dieu nous parlait au cœur, un chemin qui a été initié en nous par les sacrements du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie.
Ce chemin, c’est notre vie spirituelle, notre vie intérieure qui comprend, d’un côté, le travail de l’Esprit Saint qui écarte de nous tout ce qui peut entraver l’accueil de la Parole de Dieu, la grâce du salut, et, d’un autre côté, le déploiement du don de l’Esprit qui transforme tout notre être afin qu’unis à l’offrande du Christ sur la Croix, nous devenions nous-mêmes une offrande sanctifiée par l’Esprit Saint. C’est là, dans notre vie spirituelle, que non seulement nous découvrons que nous sommes enfants du Père, mais que, tous, les êtres humains de tous les temps, nous sommes enfants d’un même Père et, par conséquent, des frères et sœurs en Christ, lui qui est le Fils unique.
Combien de fois n’ai-je pas laisser retentir en moi la parole de l’apôtre Paul dans la lettre aux Romains : Pour raviver vos souvenirs, je vous ai écrit avec une certaine hardiesse, en vertu de la grâce que Dieu m’a donnée d’être un liturge de Jésus Christ auprès des païens, consacré au ministère de l’Evangile de Dieu, afin que les païens deviennent une offrande qui, sanctifiée par l’Esprit Saint, soit agréable à Dieu (Romains 15, 15-16).
Combien de jugements sur le genre humain, sur la situation internationale, sur les cultures, sur les personnes victimes du mal, qui deviennent parfois elles-mêmes des coopérateurs du mal, combien de jugements ne sont-ils pas faussés, sans miséricorde, sans amour, tout simplement parce que ceux qui font ces jugements n’ont pas de vie spirituelle, n’ont pas saisi que, depuis le moment où le baptême a fait de nous des fils adoptifs du Père, nous sommes toujours entre frères et sœurs, quand nous vivons dans une famille, un groupe, une communauté, une nation, un peuple, bref quand nous percevons que nous sommes membres du genre humain dans lequel tout être humain a une dignité qui dépasse, et de loin, le discours habituel sur la dignité humaine.
Tant que nous n’avançons pas sur le chemin de la vie spirituelle, nous risquons de devenir durs dans nos jugements. Je suis persuadé que, dans l’exercice du ministère ordonné comme dans la vie baptismale, sans la vie spirituelle, nous risquons de ne plus discerner l’action de Dieu en ce monde, la mission de l’Eglise en ce monde, et même en quoi consiste notre propre témoignage personnel.
Devenir prêtre, c’est une chose. Beaucoup de personnes et des institutions créées dans ce sens nous accompagnent avant l’ordination. Cela prend des années.
Exercer le ministère presbytéral, le sacerdoce ministériel, c’est autre chose. Qui nous dit ce qui est attendu de nous, comme prêtres ? Spontanément, on répond : ce sont les chrétiens. En un sens, c’est vrai. En même temps, comme le dit l’archevêque de Paris, le Cardinal André Vingt-Trois, moins ils se croient nombreux, plus les catholiques ont des besoins qui augmentent. Finalement, ils exigent des prêtres des prestations impossibles à réaliser.
Qui nous dit ce qui est attendu de nous, comme prêtres ? Autre réponse : ce sont les communautés chrétiennes, les assemblées liturgiques. En un sens, c’est vrai aussi. En même temps, à partir de quel nombre de personnes avons-nous une assemblée liturgique, une communauté chrétienne ? 15, 10 personnes ou moins encore ? Quel est le nombre minimal ?
Qui nous dit ce qui est la mission des prêtres ? La réponse est claire : le Christ lui-même qui, bien entendu, peut s’adresser à nous par la voix des chrétiens et des communautés chrétiennes, mais, j’en suis persuadé, c’est le Christ lui-même qui s’adresse surtout par la voix des Ecritures Saintes, par la Tradition de l’Eglise, dont les Conciles Œcuméniques, et par la voix de tous ceux qui, dans l’Eglise ont reçu l’Esprit Saint, qui ont reçu un ministère. C’est dans ce sens-là que nous avons à être attentifs au sensus fidei, au sens de la foi de tout le peuple de Dieu ; c’est dans ce sens-là que nous avons tous à faire confiance à ceux qui, à tel moment, à tel endroit parlent et agissent au nom du Christ-Tête de l’Eglise. Quand on entre dans ces perspectives, la description sociologique des prêtres et des chrétiens du XIXème et du XXème siècles est nettement insuffisante. C’est une description qui n’a pratiquement aucun lien avec la foi de l’Eglise. Elle ne fait même pas référence à Dieu et au dessein de salut.
Les prêtres sont appelés et envoyés pour faire de toutes les nations des disciples du Christ. Les prêtres sont envoyés par l’évêque à toutes les personnes d’un territoire déterminé, à toutes les personnes d’un secteur déterminé qui n’est pas lié directement à un ensemble territorial : soins de santé, enseignement, centres de détention, démunis et fragilisés, migrants et réfugiés. Depuis la vocation d’Abraham, la Bible ne cesse de nous rappeler ces réalités fondamentales. Aujourd’hui encore, dans le livre de l’Exode, nous avons entendu : Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Egypte. Vous n’accablerez pas la veuve et l’orphelin. Si tu les accables et qu’ils crient vers moi, j’écouterai leur cri.
La diaconie de l’Eglise manifeste l’amour que Dieu a envers les plus faibles de nos sociétés, ainsi que l’amour que nous avons, nous, comme disciples du Christ, envers nos frères et sœurs les plus fragiles.
Merci aux diacres permanents qui manifestent cet amour par le sacrement de l’ordre.
Les prêtres de l’Eglise latine s’engagent au célibat. Il y a des exceptions. Les trois candidats de ce jour ne font pas partie des exceptions. Au début de cette liturgie, ils se sont engagés au célibat pour signifier le don d’eux-mêmes au Christ Seigneur ; ils ont pris cet engagement à cause du Royaume des cieux, en se mettant au service de Dieu et de leur prochain.
Lorsque Jésus a parlé du célibat avec ses disciples, il a donné des exemples. Face aux réactions de ses disciples, Jésus a ajouté : Tous ne comprennent pas ce langage, mais seulement ceux à qui c’est donné ; il y en a qui se sont eux-mêmes rendus eunuques à cause du Royaume des cieux. Comprenne qui peut comprendre ! (Matthieu 19, 11 ; 12)
Lorsque la question du célibat est traitée dans l’Eglise, n’oublions pas que Jésus lui-même était célibataire. Et la vie de Jésus a une signification qui dépasse bien des discours sur ce que nous pensons de la dignité humaine.
Après avoir invoqué l’Esprit Saint, nous allons entrer dans l’immense intercession en compagnie de tous les saints du ciel. C’est là, dans la liturgie céleste, que nous pouvons découvrir en vérité le dessein de Dieu et le Royaume dont nous avons, ici-bas, des signes visibles et tangibles.
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai
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